Perdue. C'était bien le mot. Rien n'aurait mieux illustré mon état d'esprit, alors que j'errais dans les ruelles de Camelot. Je me sentais particulièrement mal à l'aise dans cette cité où les personnes de mon espèce étaient chassées, puis exterminées. Observant autour de moi, je ne voyais qu'une ridicule foule de villageois qui me scrutaient avec insistance. Oui, ils me dévisageaient sans le moindre effort pour être discrets. Mais que faisais-je là ? Quelle bizarre idée m'avait donc traversé l'esprit ? J'avais été aveuglée par le désir de vengeance, voilà tout. Pourtant, je ne pouvais rebrousser chemin maintenant, la fatigue pesait sur moi comme un fardeau sur un âne, et je n'allais tarder pas à manquer de nourriture. Certes, je pouvais très bien me réapprovisionner en vivres puis, retourner à Galwyddel, mais dans quel but ? Retrouver Leinor et Théodran ? Non ... Surtout l'ombre de la mort de ma mère que je n'avais su protéger. Stupide existence dénuée de sens ! A quoi m'avaient donc servis mes pouvoirs face à ce chevalier noir ?

Les souvenirs de cette horrible nuit prirent alors possession de mon âme, apportant avec eux les images affreuses de ma mère hurlant sous la lame de l'épée. C'était bien trop douloureux, bien trop. Je tentais de chasser ce tourbillon d'émotions, mais il me laissa l'amertume des doutes. Et quelle amertume !

J'abaissai la capuche de ma cape, sortis ma gourde et en but les dernières gouttes. Sentant le liquide glisser dans ma gorge, je repensai à l'histoire que m'avait conté ma mère quelques années auparavant, l'histoire qui avait conduit à ma naissance. Je me devais d'en savoir plus sur celui qui était mon père, j'en ressentais le besoin. Si l'intérêt de Camelot avait été son combat autrefois, ce serait donc ici que je trouverais mes réponses. Soit, alors il fallait que je me fasse une place dans la cité, que je me rende utile, mais surtout, mes pouvoirs devaient rester secrets aux yeux de tous.

J'esquissa un sourire, sans trop savoir pourquoi, puis poursuivis mon chemin ayant retrouvé toute ma détermination, et oubliant que somme toute, j'étais perdue.

Malrose regardait autour d'elle quant elle aperçut cette dame, enveloppée dans sa longue cape bleue nuit. Observant le visage de cette étrangère, la jeune sorcière se rendit vite compte, que celle ci la toisait. Par peur de trahir son secret en un simple regard, Malrose se retourna et continua sa marche, fortement intriguée par ce qui venait de se passer. Qui était donc cette dame ? Elle dégageait une sorte de grâce qui lui donnait l'air d'appartenir à la noblesse, cependant, son attitude paraissait bien différente de celle d'une souveraine se baladant dans son royaume. Il semblait évident qu'elle était en proie à l'inquiétude.

Évitant de justesse un débris de maison, la jeune femme ne vit pas la dame avec laquelle elle avait échangé un regard voilà quelques minutes basculer en avant, et elle l'entendit seulement prononcer quelques paroles dans une tout autre langue, qu'elle ne comprenait pas. A première vue, cette langue ressemblait à du français. Mais elle n'en eut la certitude. A vrai dire, Malrose n'avait qu'une connaissance partielle des langues étrangères, tant elle avait consacré son éducation à développer ses pouvoirs magiques. Pouvoirs d'ailleurs qu'elle se voyait forcée de garder secret dans ce fichu royaume. Elle scruta la femme qui se tenait devant elle. Elle semblait réellement troublée, et sur son visage transparaissait l'angoisse. Visiblement, cette dame ne se sentait pas à l'aise à Camelot. Qui pouvait l'être en ce lieu où les sorciers et les druides étaient chassés et où les accusations mensongères aboutissaient sur le bûcher ? Peut être avait-elle elle aussi un lourd secret à cacher ? Et s'il s'agissait d'une sorcière ? Cela restait peu probable somme toute.

Remontant la capuche de sa cape bleue nuit, qui glissait lentement, la dame marmonna quelques mots qui ne parvinrent pas immédiatement à Malrose. La jeune sorcière se voulut obligeante face à la détresse de cette femme, aussi elle tenta d'afficher un sourire sur sa mine renfrognée.

- Tout va bien ?
- Oui ... Excusez moi.

Les doutes se dissipèrent alors, cette femme venait de Gaule, cela allait de soit. Son accent marqué confirmait son origine. Elle répondit rapidement. Très rapidement. Cette dame ne voulait aucun contact, elle craignait quelque chose. Malrose ne put s'empêcher d'y reconnaître sa propre situation. Elle décida d'apaiser son interlocutrice et feint un sourire de nouveau. C'était un effort pour elle. Le plus difficile étant de lutter contre son regard observateur et perçant, qui avait le don de mettre mal à l'aise ceux à qui elle s'adressait.

- Vous êtes originaire de Gaule ?

Elle prononça chaque mot lentement, pour bien se faire comprendre, mais au vu de la réaction de la française, elle avait très bien comprit la question de la sorcière.

L'amorce de la conversation était lancée, et Malrose en fut soulagée. Elle avait besoin de contact humain, après tout ces jours passés à errer dans la forêt, seule, et égarée. La dame avec laquelle elle discutait semblait plus détendue qu'auparavant, et paraissait vouloir elle aussi la chaleur d'une conversation entre deux personnes civilisées. Cela dit, la jeune sorcière n'osait que très peu parler. Un secret tel que celui qu'elle devait conserver, pouvait rapidement partir en fumée, ce qui serait son cas à elle aussi si Uther découvrait sa vraie nature. Pourtant, elle n'avait guère peur en compagnie de cette dame à l'allure noble.

Sa nouvelle rencontre lui posa une question, à laquelle Malrose répondit en agitant mollement la tête. Non, elle n'était jamais allée en Gaulle, mais elle connaissait cette contrée lointaine, d'où était originaire son ancien fiancé, son amour perdu. L'image de son unique baiser avec Théodran, ce doux jeune homme, apparut dans son esprit. Des détails de son existence auxquels elle se refusait de penser, tant ils étaient douloureux. Pitoyable histoire qu'était la sienne.

Un chevalier qui se tenait au coté de la dame, murmura quelques mots à sa voisine, puis lança des regards noirs à la jeune sorcière. Que voulait-il ? S'il désirait voir ce qu'était un regard mauvais, il ne serait déçu, car Malrose avait l'habitude de jeter des flammes au reste du monde, uniquement grâce à son expression du visage. Scrutant les deux étrangers qui lui faisaient face, elle entendit la voix douce de la dame s'élever dans les airs, avant de voir le chevalier placer son destrier comme s'il s'agissait d'un mur de protection.

- Puis-je connaitre votre identité mademoiselle ... ?

Malrose sentit son sang ne faire qu'un tour en elle, et elle eut l'impression qu'un étau écrasait son coeur. Même si elle désirait plus qu'un tout ne serait-ce qu'un semblant de discussion, elle ne s'attendait à une question qui dévoilerait ainsi son identité. Certes ici elle n'était pas connue, cependant, il existait d'autres lieux où son nom était associé à son visage, et à sa condition, au fait qu'elle avait des pouvoirs magiques et qu'elle les utilisait.

Elle hésita un instant - sa vie pouvait basculer en quelques seconde - mais, finalement, elle céda. Cette dame ne cherchait qu'à faire connaissance, à trouver de la compagnie pour quelques minutes, et il était bien impoli de ne pas lui répondre ... Et puis tant pis pour les conséquences.

- Malrose. Mon nom est Malrose. Puis-je me permettre de vous retourner la question ?

Elle observa la réaction de son interlocutrice. Son salut, ou sa perte l'attendait. Si cette dame était une partisane du roi Uther, il était possible que ces mots soient ses dernières paroles. Et peut être sa question l'avait d'ailleurs vexé. Et si cette femme était réellement noble ? Cela expliquerait la présence d'un chevalier ... Malrose respira doucement, et patienta jusqu'à ce que sa nouvelle rencontre ne lui réponde. Les minutes semblaient s'allonger, jamais la jeune sorcière n'avait eut l'impression que le temps défilait si lentement.

La puissante angoisse qui avait envahit la jeune sorcière, quelques minutes plus tôt, s'envola lorsque son interlocutrice lui répondit d'un ton emprunt de gentillesse, dessinant sur son visage des sourires qui se voulaient rassurants. Bien qu'elle n'était guère en confiance sur les terres d'origine de son père, Malrose se savait pourtant en sécurité au coté de cette dame à fière allure. Visiblement, cette rencontre lui procurait un sentiment qui s'approchait du bien être. Oui, la jeune femme nécessitait un contact humain, et celui ci s'avérait des plus concluants.

Sa nouvelle et gentille rencontre déclina son identité. Elle s'appelait Iris, un très jolie prénom qu'elle n'avait en sa connaissance auparavant, mais qui glissait agréablement dans ses oreilles. Aussi elle la complimenta. La chaleur de l'échange adoucissait l'esprit torturée de la sorcière usée par son long périple. Peu à peu, Malrose se détendait, gardant malgré tout un oeil méfiant autour d'elle. Ne sait-on jamais !

Iris présenta comme son frère l'homme qui l'accompagnait, tout en veillant à préciser que la langue de ces terres lui était inconnue. Inclinant légèrement la tête pour le saluer, la jeune sorcière se raidit en attendant les paroles de la femme qui lui faisait face.

Uther Pendragon. Ou plutôt celui qui n'hésiterait guère à la faire exécutait s'il découvrait les pouvoirs de la sorcière, quelque fut la loyauté du père inconnu de Malrose. Ses muscles se contractèrent, sa respiration devint difficile. Que pouvait-elle bien répondre ? Elle devait rester discrète ici, et veillait à adopter une réaction qui ne la trahirait pas. Elle tenta de retrouver son calme, et un semblant de sourire.

- Je suis navrée de ne pouvoir vous éclairez mais je franchis tout juste la frontière de ces terres.

Elle respira calmement. Elle ne voulait mentir à cette jeune femme qui se montrait plus qu'obligeante avec elle, son comportement étant bien loin de celui des brutes que Malrose avait eu l'occasion de croiser au cours de son voyage. Finalement, des brides des conversations des villageois qui lui étaient parvenues, alors qu'elle déambulait dans les ruelles, lui revinrent en mémoire.

- Cependant, il semblerait que le roi ne se trouve en ces lieux.

Masquant la gêne et le dégoût qu'elle éprouvait à parler de Uther, la sorcière préféra détourner le regard. Pourtant, elle ne put s'empêcher de voir une étrange expression traverser le regard de Iris.

Quelque chose clochait. Malrose en avait la certitude, pourtant, elle ne parvenait à définir ce que semblait être anormal. Elle se contentait de sourire, car au fond d'elle, elle se sentait réellement bien aux cotés de cette intrigante dame. Sa compagnie était agréable, cependant, celle-ci semblait bouleversée. Visiblement, son malaise avait débuté lorsque la jeune sorcière avait formulé l'éventualité de l'absence du roi en ses terres. Des rumeurs filaient entre les rues de Camelot, et bon nombre de villageois racontaient avec frayeur l'enlèvement de leur bon roi par une créature magique.

Alors que les rues se reconstruisaient lentement, Malrose se souciait plus de la détresse de villageois privés de maison, que de l'état de ce maudit Uther. Apparemment, ce n'était pas le cas d'Iris. La dame paraissait terrassée par la disparition du roi. Peut être le connaissait-elle personnellement ? Cela semblait peu probable. Seule une personne de haut rang pouvait être dans une telle situation.

Le frère d'Iris s'adressa à celle ci, qui étaient ébranlée. Malrose s'entendait à la voir défaillir d'un instant à un autre, mais ce ne fut le cas, au grand soulagement de la jeune sorcière. Iris se redressa pour montrer que tout allait pour le mieux. La jeune sorcière lui sourit alors pour la rassurer. Elle était sa première connaissance, et sans que Malrose ne sache pourquoi, elle éprouvait pour celle ci, une réelle affection. Cette rencontre était un signe du Destin.

S'approchant doucement de son interlocutrice, la nouvelle arrivante sourit et se voulut rassurante.

- Vous sentez vous bien ? Ne désirez-vous pas m'accompagner à l'auberge où vous trouverez de quoi vous rafraîchir et vous asseoir ?

Le léger incident avait attiré quelques regards sur les deux femmes, et Malrose voulait à tout prix éviter de trop attirer l'attention sur elle. Certes, elle passait inaperçue au milieu de la foule, mais la jeune femme éprouvait une forme de paranoïa qui ne cessait de croître depuis qu'elle avait foulé les terres de Camelot. Elle ressentait l'étrange impression que son temps était compté ...